La formation des jeunes à la mise en valeur du milieu rural, principal défi de la RD CONGO

Préserver les capacités de notre planète à réguler le climat et stocker le carbone est la priorité absolue de la survie de l’homme sur terre ; le cœur vert de la forêt africaine, est l’un des défis ultimes (et urgent) qui prend le pas sur les autres, car source de toute vie. Ce texte est une collaboration avec Emmanuel Heuse (ERAIFT) et TEXAF BILEMBO avec ses ateliers éducatifs et son projet SOS planète Congo.

La République Démocratique du Congo est aujourd’hui dans une situation paradoxale vis-à-vis des efforts globaux de lutte contre les changements climatiques. Le pays est d’une part reconnu comme « pays clé » de toute stratégie visant à limiter la déforestation tropicale et la diplomatie environnementale du gouvernement est basée sur le slogan de « pays-solution ». Cependant les capacités du pays à encadrer et à mitiger les dynamiques d’expansion agricole qui affectent de plus en plus intensément son important couvert forestier sont extrêmement limitées. L’écart entre la complexité des défis à relever et les solutions que le pays est effectivement en mesure d’apporter ne cessent de se creuser. Le renforcement et l’adaptation des capacités humaines dont le pays aura durablement besoin pour être à même de relever ces défis dans le moyen et le long terme constituent donc une contrainte majeure. De manière plus spécifique, la RDC devra impérativement trouver les moyens de promouvoir et d’encadrer, sur le terrain, l’indispensable transition vers une agriculture résiliente, laquelle est unanimement désignée comme la clé de voûte de toute stratégie nationale de lutte contre la déforestation et de contribution de la RDC aux objectifs globaux de lutte contre les changements climatiques.

Selon le diagnostic pays de la Banque Mondiale (2018) : « le renforcement des capacités humaines et l’amélioration des conditions de travail des personnels dans les régions reculées est la condition n°1 pour que la RDC soit à même d’adopter une stratégie de développement résiliente et de croissance durable » . On estime que 65% de la population congolaise actuelle (de l’ordre de 100 millions) a aujourd’hui moins de 25 ans, et est donc théoriquement en âge d’être prise en charge par le système national d’éducation et d’enseignement supérieur. Le système formel d’enseignement qui comprend approximativement 70.000 institutions d’enseignement primaire et secondaire (Banque Mondiale, 2015) et un millier d’institutions d’enseignement supérieur (MINESU, 2019), demeure cependant largement sous-financé, malgré les engagements récents des autorités du pays pour la gratuité de l’enseignement. Les dépenses publiques réelles en faveur du secteur de l’enseignement ne sont en réalité que de l’ordre de 600 à 700 millions de dollars, soit le quart de ce qui était requis pour que la stratégie sectorielle de l’éducation pour 2016-2025. La gouvernance du secteur par ailleurs est sujette à caution, et la qualité même des enseignements dispensés (quand ils le sont effectivement) est un défi au moins aussi important que ceux du financement et de la gouvernance du secteur. Les défis structurels pour une organisation basique du secteur de l’enseignement sont déjà, eux-mêmes, gigantesques en RDC.

Ainsi, comme expliqué ci-dessus, les approches classiques d’accompagnement rural qui sont aujourd’hui tant bien que mal dispensées dans les cursus d’enseignement n’intègrent que très superficiellement les objectifs de gestion durable des ressources naturelles. En conséquence, les cadres de formation et les cursus d’enseignement doivent être fondamentalement refondus pour que des capacités nationales d’accompagnement rural « modernes » soient graduellement déployées auprès des millions de producteurs familiaux, qui demeurent actuellement emprisonnés dans des modes de production de subsistance très défavorables au maintien des massifs forestiers, et qui comptent donc bien malgré eux parmi les principaux responsables de l’accélération des taux de déforestation en RDC. Cette ambition d’un nouvel enseignement centré sur les ressources naturelles, est forcément de longue haleine. Elle est cependant plus que jamais d’actualité, parce que la population ne cesse de croître, et rapidement.

En effet, sur le continent africain, les hommes et les femmes éprouvent un grand désir de faire des enfants malgré les conditions de vie précaires ; la venue d’un enfant représente un don de la nature qu’il serait impardonnable ne pas accueillir. La RDC compte au moins 6 millions de familles rurales de 7 enfants en moyenne ; cette démographie élevée en milieu rural va persister du fait de la culture traditionnelle et le poids des religions monothéistes, qui rendent lente la transition démographique ; insuffisamment de filles sont scolarisées ; les mariages précoces restent la règle.

Pour autant, pouvons-nous supposer que le décollage économique de l’Afrique sur base de sa population jeune et dynamique, tel un « dividende démographique ? Rien n’est moins sûr. Sans système éducatif approprié, les nouvelles générations congolaises désertent les campagnes africaines/ Faute de visions locale, provinciale et nationale, les forces vives quittent la campagne, démunie d’administration au service des citoyens. Les jeunes estiment qu’il n’y a pas de vie à construire en ce milieu rural non encadré; ils émigrent vers les villes. Ce mouvement massif alimente une croissance urbaine anarchique ; telle Kinshasa..

Dans des villes déconnectées des campagnes, dépendantes d‘importations alimentaires et surpeuplées, le chômage et le non-emploi, sont la règle. Pour éradiquer le chômage endémique des jeunes, les gouvernements africains devraient être capables de créer 450 millions d’emploi dans les 20 prochaines années sur le continent. Compte tenu de la nature extravertie des économies africaines (et la RdC en particulier), qui dépendent principalement de l’exportation de matières premières dont la fixation des prix leur échappe, dans le meilleur des scénarios de croissance économique, les États africains ne créeront qu’au plus 100 millions d’emplois d’ici à 2050. Alors, la désespérance développe le désir d‘un avenir meilleur développera une autre migration, orientée hors du continent avec l’Europe comme principale cible…

 

Dans ce tempo, l’exode rural affaiblit les forces vives de la campagne et la population rurale, délaissée, isolée, démunie, y brûle la forêt pour nourrir ses enfants, rétrécissant la forêt en peau de chagrin. Et parce qu’il n’y a pas de réponse à ce drame silencieux, cette vie enclavée, percluse de pauvreté et de corvées maintient la nécessité de donner naissance à de nombreux enfants, soit 7 par famille. C’est la bombe démographique dans un monde qui ailleurs qu’en Afrique se dépeuple.

Aucun feuilleton télévisé, aucun reportage télévisé, ne fait vraiment l’éloge de la vie rurale en RdC. La reconstruction d’une vie meilleure et enviée, en milieu rural est une démarche qui s’initie sur une appropriation bien consentie, aboutissement de réflexion, doublée d’une dynamique communautaire stimulée et accompagnée en respect des peuples et communautés (sans fragmentation et extractions non consenties…); le processus culturel « indigène » d’appropriation de territoires défini les attentes d’accompagnement; les ONG locales congolaises, les regroupement de communautés, ceux qui organisent la défense des peuples autochtones, seront autant de plaidoyer et de relais envers des pays les mieux dotés sur le plan scientifique pour le suivi des forêts & phénomènes climatiques, centres de recherche et universités. Les collaborations Nord Sud et Sud Sud doivent s’intensifier.

Comment un programme aussi spécifique que de réhabiliter la formation agronomique en RDC pour la rendre compatible avec les enjeux du changement climatique), pourrait-il s’initier ?

 

La RDC et ses partenaires internationaux regroupés dans l’Initiative pour les Forêts du Bassin du Congo (CAFI) se sont engagées, à l’occasion de la COP 26, dans un partenariat de 10 ans pour un développement vert (2021- 2031), « dans l’objectif d’arrêter et d’inverser la perte de forêts et la dégradation des terres d’ici 2031, tout en assurant un développement durable et en faisant la promotion d’une transformation rurale inclusive ». Assurer un développement durable et promouvoir une transformation rurale inclusive, ne pourront être assurés que si un cadre général de formation et des cursus d’enseignement adaptés sont développés et effectivement déployés afin de permettre au pays de disposer des capacités nécessaires d’encadrement du monde rural. La RDC s’est engagée à poursuivre les objectifs d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, augmenter les revenus des populations rurales, maintenir les conditions agroécologiques de la production agricole à travers une agriculture durable et respectueuse des forêts et de l’environnement. Promouvoir l’agriculture familiale durable compatible avec la préservation de la forêt et des tourbières en tant que moteur de développement du monde rural pour renforcer la sécurité alimentaire et améliorer la chaine de valeur agricole, par l’autonomisation des femmes et des ménages.

En finalité, l’accompagnement des communautés locales et des peuples autochtones dans la gestion des forêts en RdC doit aboutir à de nouveaux modes agricoles et mèneront à la finance carbone, en nécessité de compenser ou récompenser le travail de préservation; des chemins itératifs se construiront sur l’écoute, l’observation avec humilité, la compréhension des modes de vie…

Si les jeunes africains, européens et leurs diaspora s’intéressent aux messages des ancêtres, redécouvrent des savoirs endogènes, aspirent à un « retour aux sources » en milieu rural, il est désormais prioritaire d’ organiser des conditions attractives qui créent l’attrait , l’engouement ; cette dynamique et la promotion du monde rural qui l’accompagne va récupérer et installer leur jeunes après les études, en une panoplie de métiers verts, bien réels, concrets, utiles, motivants, puisque les nouveaux et nombreux emplois liés à la protection des forêts constituent de réelles opportunités… ; et que les instituts de formation en milieu rural soient renforcés pour assumer ce défi.

« Aidez nos enfants à étudier en nos milieux, pour demain y créer leur emploi et ancrer la famille et l’avenir de la communauté dans la dynamique de développement du terroir » cri des mamans congolaises.

Ecoutons, décryptons les attentes profondes des mamans en milieu rural, pour sécuriser et construire le futur par des établissements scolaires orientés sur les besoins des terroirs afin de former les jeunes qui deviendront capables d’animer les structures légitimes qui encadrent les populations , nourrir la dynamique communautaire qui exerce une vraie gouvernance locale et qui capitalise les initiatives et les font grandir.

Relancer l’éducation et le faire au niveau local, promouvoir les emplois verts (auto emplois à construire) : la RdC est immense, et ses 145 territoires (chacun grand comme la Flandre ou la Wallonie), méritent tous au moins un institut de formation viable -et encadreurs motivés- en phase avec les défis et réalités rurales locales , pour revaloriser le monde rural ; ce qui doit être accompagné et financé :

La diaspora africaine grandissante est une clé essentielle des changements; une diaspora que l’on a empêché de panser ses plaies du passé et bien occupée à ces légitimes réparations de l’histoire; développe aussi son droit de regard, d ‘anticipation et son action critique voire de sanction sur les certains chefs d ‘Etat africains sans vision moyen et long terme…. Sur des coopérations sans issue de développement non durable, qui entretiennent des liens de dépendance.

L’Europe (et les diaspora africaines qui y vivent) dispose de l’expertise qui fait cruellement défaut à l’Afrique mais cette expertise ambivalente ( celle des multinationales, celles des institutions de développement) qui se déploie de façon biaisée, disparate, maladroite (sans vision harmonisée), fait courir le risque de naufrage de l’Afrique au moment où ce continent sera le plus peuplé, avec des conséquences inouïes quant au déplacement massif de populations et en particulier de sa jeunesse; il n’est pas encore trop tard pour redessiner un partenariat plus équitable et plus durable.

Des actions plus efficientes et plus durables sans paternalisme, nécessitent la prise en main effective par les communautés locales et des peuples autochtones de leur propre destin et terroirs, à la gestion de leurs ressources naturelles… et leur suivi -pérennisation- par une gouvernance participative et représentative des communautés; sur base de la gestion des forêts communautaires et l’agriculture sédentarisée…. Des échanges nord-sud et sud-sud intensifiés sont nécessaires pour comprendre, développer le dialogue, ouvrir la porte a plus d’opportunités pour expliquer sans jeu déloyal; comment aider, pour garantir l’accès aux actuels et futurs bénéfices carbone de leur forêt de leur plantations , de leur agriculture sédentarisée ?

Les outils financiers du monde d’aujourd’hui et liés au climat et à la finance carbone, doivent atteindre les communautés locales et de peuples autochtones, pour leur permettre enfin de renverser le processus de dégradation de leurs terres et forêts, d’arrêter la perte de la biodiversité et de se procurer des gains socio-économiques durables tout en préservant ces patrimoines naturels de leurs terroirs.

À propos de l'auteur

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Alain Huart

Alain Huart est Chef de la cellule de suivi et de coordination du programme « Environnement et Agriculture Durable » de l’Union Européenne en RDC. Il est aussi développeur pour la consolidation de partenariats public-privés en paysages de parcs (Salonga, Virunga, Garamba, Upemba Kundelungu) et biosphères de la RDC (Biosphère Luki, Yangambi).

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